Maïka, l’érosion des mots
Son intérêt pour le graphisme et la typographie la guide naturellement vers l’écriture qu’elle explore pour lui donner une nouvelle forme visuelle, une nouvelle matérialité.
Au cœur du travail protéiforme et performatif de Maïka, la chorégraphie et la manœuvre du geste accentue la profondeur et la promptitude du trait. Elle privilégie la parole, son contenu et la géologie du tracé. La matrice de son écriture s’inscrit dans une stratification qui lui est naturelle. Aucune phrase, aucun mot n’est distinctif. Les pistes de lecture se brouillent car le texte n’a pas besoin d’être lisible : « l’objectif est une lecture universelle qu’il faut lire avec le ressenti » explique-t-elle.
Le contenu et le sens sont cruciaux. Maïka retranscrit ses pensées, ses prières, parfois ses propres poèmes mais aussi des textes philosophiques et spirituels extraits pour la plupart du Taoïsme. « La beauté va de pair avec le spirituel » poursuit-elle.
L’écriture est un lien, une force, un souffle, une ellipse. Elle fait le vide en soi et laissent parler l’émotion. Le silence par-delà les mots finit toujours par apparaître. Ce refus de dire, d’élucider le sens est une impulsion latente chez elle.
Mobile, autonome et chargée de sens, la lettre devient signe et acquiert sa propre dimension. Son enroulement et l’alternance des segments laissent vivre la surface.
Dans l’émiettement des traits et le dépouillement des agrégats du réel, une identité émerge. La matière se révèle et dévoile sa force vive. L’artiste travaille des supports multiples ; papier, planche de carton, bande de kraft, plastique… Les lettres se dessinent à l’encre, au pastel parfois à l’aide de minces traceurs comme des allumettes.
La palette s’inspire de la matérialité et de la couleur des murs de son atelier d’artiste. Les tons de gris, ocre, terre, contrastent avec l’écriture noire. Par contraste, d’autres lettres blanches, aux tonalités or et argent apportent de la noblesse, sublime l’aspect terrestre. Chaque couleur porte sa valeur symbolique. Quelques lignes de couleurs s’insèrent par endroit. Des creux se créent pour montrer des manques sans se remplir. L’effet de transparence et de vide prédomine ; il devient l’interprète de la distance, de l’abîme et de l’absence.
Une performance monumentale proposée dans le square Maurice Gardette à Paris met en scène une bâche de plastique transparente sur laquelle une écriture devenant transparente, disparaît comme un souffle discret. La respiration des végétaux imprégnée et visible sous formes de gouttelettes apparaît en relief. Maïka confronte ici la survie des écrits à l’influence des éléments naturels ; la pluie, le vent qui participent à l’effacement, la dilution des lettres que l’artiste renouvelle chaque jour. Un élan qui, l’instant d’après, disparaît en partie. Dans les frémissements et les replis du temps elle exprime ainsi ce qui est et ce qui a été.
Pour la plupart de ses œuvres, l’image numérique vient clôturer son processus créatif. Elle zoome et agrandit pour immortaliser, transformer, détacher et reproduire.
« Le détail permet de voir autrement l’entité ; le micro fait apparaître le macro. Comme la feuille parle de l’arbre, la goutte de sang informe sur l’organisme. C’est une autre lecture, une vision nouvelle supplémentaire. » commente l’artiste.
L’œuvre est désormais évolutive, recréée, et réinventée par le focal et la pensée. Plus que jamais fragile, elle est associée à la substance de nos rêves. Une vallée énigmatique, un chemin issu de l’idée même de parchemin où le verbe se mêle à la poussière.